Arrêt de travail et congés payés : tout comprendre des arrêts du 13/09/2023

Les quatre arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation le 13 septembre dernier ont fait grand bruit. Vous serez certainement interrogé sur leur portée et sur les raisons qui ont amené la Cour de cassation à appliquer le droit européen au détriment du droit français.

Les quatre arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation le 13 septembre dernier ont fait grand bruit. Vous serez certainement interrogé sur leur portée et sur les raisons qui ont amené la Cour de cassation à appliquer le droit européen au détriment du droit français.

Nous avons donc déchiffré les deux décisions les plus importantes :

  • L’arrêt n°22-17340 qui juge que le salarié acquiert des droits à congés payés lorsqu’il est en arrêt maladie ;
  • Et l’arrêt n°22-17638, qui juge que le salarié en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (AT-MP) a droit à congés payés durant toute sa période d’arrêt de travail, levant ainsi la limitation d’un an applicable jusqu’alors.

Incompatibilité juridique

Une directive de l’Union européenne (UE) de 2003 édicte la règle selon laquelle tous les États membres de l’UE doivent prendre les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins 4 semaines. Cette règle ne pose aucun problème s’agissant des travailleurs effectivement présents dans l’entreprise.

Mais que se passe-t-il lorsque le salarié est en arrêt de travail durant une longue durée ? Doit-il acquérir des congés payés ?

  • Oui, selon le droit européen ;
  • Non, selon le droit français, car le code du travail :
    • N’assimile pas les absences pour cause de maladie non professionnelle à du temps de travail effectif permettant l’acquisition de congés payés ;
    • Et limite à un an la période d’arrêt pour AT-MP ouvrant droit à congés payés.

Il y a fort à parier que les entreprises que vous conseillez appliquent actuellement la règle du code du travail français et que leurs salariés n’acquièrent donc aucun congé payé lorsqu’ils sont arrêtés par leur médecin.

La brèche

La Cour de cassation se bornait à alerter le législateur français sur la nécessité de réformer le code du travail, mais sans pouvoir écarter la règle française en la matière. Et pour cause : la directive de l’Union européenne n’est pas contraignante dans les relations opposant un salarié avec son employeur de droit privé. Le même processus était à l’œuvre en cas d’AT-MP, avec la limitation d’un an.

Jusqu’à ce qu’en 2018, la jurisprudence de la CJUE évolue : elle juge que les salariés peuvent invoquer la Charte des droits fondamentaux de l’UE, et plus particulièrement son article 31 §2, en cas de litige avec leur employeur. Or cet article dispose que « tout travailleur a droit à une limitation maximale de travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés ».

Voyant que le législateur français ne modifiait pas le code du travail malgré les diverses recommandations qu’elle lui avait enjoint, la Cour de cassation s’est engouffrée dans la brèche. Les arrêts du 13 septembre 2023 en sont le résultat.

Discrimination

Dans ses arrêts, la Cour de cassation utilise la Charte des droits fondamentaux de l’UE pour écarter partiellement la règlementation nationale. Elle juge alors :

  • Que le salarié en arrêt de travail à la suite d’une maladie non professionnelle continue d’acquérir des congés payés ;
  • Et que le salarié en arrêt de travail à la suite d’un AT-MP doit acquérir des congés payés durant toute la période où il est placé en arrêt de travail

Sans quoi l’employeur se rendrait coupable d’une discrimination liée à l’état de santé de son salarié.

Vos clients vous poseront certainement la question suivante : pour quelle durée de congés payés vaut cette jurisprudence de la Cour de cassation ? La réponse, donnée dans le rapport du conseiller rapporteur, est très claire sur ce point : elle vaut pour les 5 semaines de congés payés légaux, auxquelles s’ajoutent les éventuels congés conventionnels. La solution de la Cour ne s’applique pas aux RTT.

Que va-t-il se passer maintenant ?

C’est la grande inconnue à ce jour. Le ministère du Travail a indiqué qu’il analysait les options possibles et que des travaux étaient en cours pour mettre en conformité la législation avec cette décision.

En tout état de cause, l’enjeu est colossal : la facture pour les employeurs pourrait aller de 2 à 6 milliards d’euros, selon les différentes projections. Les salariés pourraient en effet être tentés d’aller réclamer les congés payés qu’ils auraient dû acquérir durant leurs arrêts en cours et lors de leurs précédents arrêts maladie.

  • Le gouvernement devrait donc tenter de limiter les impacts financiers et pour cela, plusieurs options s’offrent à lui :
  • Limiter les conséquences de cette jurisprudence aux 4 semaines de congés payés garanties par la directive de 2003 ;
  • Et limiter le report des congés payés non pris du fait d’une maladie dans le temps. Sur ce point, plusieurs pistes :
    • Pour le doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, Jean-Guy Huglo, les salariés devraient pouvoir remonter jusqu’au 1er décembre 2009 pour réclamer leur dû, date où la Charte des droits fondamentaux de l’UE est devenue contraignante. Il s’agirait du scénario noir pour vos clients ;
    • Il pourrait aussi s’agir d’une période de 15 mois, car la jurisprudence européenne l’a déjà autorisé dans un arrêt ;
    • Ou d’une période d’un an, déjà jugée suffisante par la Cour de cassation dans le passé.

Affaire à suivre.

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